Connect with us

Art + Design

Insta-art : l’art en 2017 fut digital

Un focus sur le monde de l’art en 2017 avec les avis de Ines Longevial, Frederic Forest, Sebastian Bieniek et Michelle Kingdom.

En 2017, l’art se consomme sur le pouce et défile sur Instagram. Cultivant l’ambiguïté, il n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui. On le retrouve dans les musées, dans la rue, sur les vêtements, dans les supermarchés et partout ailleurs. Parallèlement, il disparaît des maisons. Les galeristes s’en vont aussi, et puis les antiquaires souffrent un peu. On va à la FIAC pour voir de nouvelles choses, voir comment l’art évolue. Et, un peu fatalement, pour dire qu’on y va, aussi. Bref, l’art n’est plus seulement quelque chose qui se regarde, mais qu’on se regarde regarder. Au lieu de contempler et d’interpréter les œuvres, on les observe furtivement, les prend en photos, puis les emmène dans notre poche. Définitivement, cette question nous taraude : Où en est l’art en 2017 ?  Réponse avec quatre artistes d’aujourd’hui, stars d’Instagram et acteurs de quelque chose de nouveau : Ines Longevial, Frederic Forest, Sebastian Bieniek et Michelle Kingdom.

Dossier par Etienne Quesnay, diffusé pour la première fois dans le numéro zéro du print TRENDS periodical disponible ici.

   Il se balade dans les rues, s’expose dans les galeries, se couche dans les musées. Il attend les gens, espère une réaction et fascine ceux qui l’admire. Pourtant, lui et la manière dont on le consomme changent beaucoup. Plus accessible qu’avant grâce à internet et aux musées, il n’en reste pas moins plus élitiste. De plus en plus abscons, l’art d’aujourd’hui divise, mais inspire également tas d’artistes qui décident de lancer leur propre galerie sur Instagram, attirés par l’idée d’une exposition autodidacte, mélange de partage et d’instantanéité.

« L’art en 2017, c’est trop d’argent. Trop de gens qui s’intéressent à l’art parcequ’il y a de l’argent. Peu de gens qui s’intéresse à l’art pour ce qu’il devrait être. »

Fréderic Forest

On y est. La première question est posée. Qu’est ce que l’art en 2017 ? Cette question infiniment vague est pourtant pleine de sens. Dans une ère où tout semble avoir déjà été inventé par quelqu’un d’autre, où tout ne fait figure que d’amélioration, de détournement ou de reprise, s’intéresser à l’état de l’art paraît légitime. Une chose est sûre, c’est que son usage ne changera jamais. Fait pour ressentir, marquer, toucher, polémiquer, jouir émotionnellement, rêver, apaiser, proclamer, revendiquer et apprécier, il conservera toujours ses atouts, ceux de « transcender les individus » et de répondre à ce besoin de « créativité esthétique essentielle à l’expérience de l’homme » selon les mots de Michelle Kingdom, autre famous d’instagram et artiste, brodeuse au talent rare installée à Los Angeles, en Californie. Pour d’autres comme Sebastian Bieniek, artiste complet aux 32,6k abonnés, l’art n’existe que grâce à ceux qui ont de la personnalité. C’est une discipline qui demande du courage, de l’idée et de la force.

Si vous imaginiez le monde de l’art comme un grand nuage rempli d’idées et de couleurs, c’était une erreur. Bieniek expose une vision très enragée, faite de « boom-boom » et d’échanges musclés. Pour lui, le marché de l’art n’est pas un monde merveilleux mais bien une compétition où chacun doit se battre pour exister.

Dès lors, il faut créer, anticiper, varier, étonner. Faire de son mieux pour briller parmi les millions d’autres talents qui trouvent écho auprès du tout-public mondial. L’artiste allemand parle d’un « Internet Art » qui suffit à dire que l’art change et vit d’une double consommation. La plus virtuelle et rapide qui soit étant sur nos écrans, et l’autre, réelle et contemplative, se retrouvant un peu partout en dehors. Bieniek, qui croit en la personnalité et en l’inventivité ne veut pas d’un modèle d’art, juste « du courage de créer » et rappelle à l’ordre ceux qui voient l’art par la technique : « Je regrette de voir les gens parler de plus en plus de technique, en oubliant que l’art est avant tout une conversation que l’on a avec soi ».

Sous le coup du changement, l’art ouvre ses portes à tous les créatifs de la terre. Au diable les galeries, on crée sa réputation seul, guidé par son instinct et motivé par son nombre de followers. Il n’y a rien d’autre à faire que de faire, de capturer et de mettre en ligne pour des utilisateurs qui, de leur côté,

voient l’art sous un autre angle. La peinture, la photographie ou toute autre création qu’ils regardent, ils peuvent directement lui dire « Je t’aime ». Ils peuvent l’enregistrer, la partager, noter le nom de l’artiste qui leur a fait quelque chose au cerveau ou au cœur. Sans rien acheter, sans spéculer ni se soucier du prix, ils peuvent observer l’art et le garder pour eux, bien au fond de leur poche, pas trop loin de la mémoire.

« C’est devenu instinctif de partager, pour certains c’est même un besoin. »

Ines Longevial

A côté du concept d’Internet Art évoqué par Sebastian Bieniek, Ines Longevial, peintre parisienne de 25 ans aux 70,3k abonnés parle « d’images Instagram ». Comme Tumblr en son temps, Instagram façonne les utilisateurs comme les artistes : « Instagram génère de nouvelles modes d’images, fortement inspirées les unes des autres, tant dans la mise en scène que dans l’exécution ou encore dans les thèmes. Je remarque par exemple qu’il y a beaucoup de comptes basés sur le dessin de scènes de sexe, ça c’est très Instagram, c’est ce qui peut être dangereux avec ce réseau, réduire son travail à un thème ou une mise en scène. Il ne faut pas tomber dans le piège, je pense qu’au contraire il faut toujours se renouveler et prendre des risques dans l’image ».

Nombreux sont ceux qui, sur Instagram, magnifient le banal à coup de photos terriblement normales. Un trottoir, un pigeon, un mur à l’abandon. Une fois en ligne, chaque post a le pouvoir de devenir beau. C’est cet état d’esprit qui caractérise Instagram, la culture du #mood. Celle là même qui permet à des tas d’artistes de s’affirmer en dévoilant leur univers, pour fédérer autour de lui. Insta, comme l’ensemble des réseaux sociaux, a

totalement bouleversé la manière de voir et d’interpréter. Il est trop tard pour prendre son temps, vous et vos amis tournoyez déjà depuis un moment dans la grande roue de l’immédiateté. Un complexe de l’époque forcément un peu opposé à l’image que l’on se fait de l’art, comme de quelque chose qui se contemple, se déguste et se comprend.

« Aujourd’hui, tout le monde, pauvre ou riche, peut se présenter en face d’un Van Gogh. » 

Sebastian Bieniek

Si vous vous baladez dans une exposition, prenez le temps de regarder ceux qui n’en ont visiblement pas. Il est facile de constater qu’en 2017, peu de gens prennent encore le temps d’admirer un tableau par ses quatres coins. Désormais, il est souvent regardé de haut en bas, expressément capturé puis digéré par la rétine. On regarde l’artiste, mesure sa notoriété. Et puis on prend en photo, avant de partager, et d’oublier. Un  avis nuancé par Fréderic Forest, designer et dessinateur révélé sur le réseau social : « Nous faisons énormément de choses avec un smartphone. Oui, beaucoup de personnes déambulent dans les galeries avec leurs smartphones à la main. Maintenant, que font-ils avec ? Sûrement que la plupart ne font qu’alimenter leurs comptes, mais je pense que certains utilisent les applications des musées, basculent sur d’autres réseaux et vont chercher plus d’informations par eux-mêmes. Il faut donc que les musées, galeries et autres salons soient au fait de cela, s’ils ne le sont pas déjà. Sinon, nous sommes immédiatement déçus non pas par les œuvres mais par le manque de fluidité dans les informations que nous y cherchons et l’expérience de découvrir une œuvre in situ. Maintenant, je pense qu’ils doivent offrir de nouvelles expériences. »

« Je pense qu’on peut faire comme Booba ou PNL : « pour nous, par nous » ! Ce n’est pas gagné d’avance, mais c’est ce que j’ai envie de tenter. »

Ines Longevial

Pourtant loin du sujet initial, les rappeurs sont le parfait exemple du bouleversement d’un milieu artistique par les réseaux sociaux. Avec un beat efficace, un flow impactant et un clip de bonne facture, n’importe qui peut rencontrer le succès sur Youtube et continuer sa communication sur Facebook. Les maisons de disques le sentent bien : plus personne n’a réellement besoin de leurs expertises désormais. Ce qui attire encore chez elles, ce sont les moyens mis en œuvre et les certitudes de réussite. Booba, PNL, Hamza, Damso, SCH… tous ont en commun cette nécessité de créer, générée par leur public.

Plus aujourd’hui qu’hier, l’artiste est un consommable. Dès son premier million de vue, le rappeur est pris dans un piège. Il doit créer, inventer, plaire. Plus que tout, il ne doit pas se faire oublier face à une concurrence vorace et tout aussi habituée à la survie.

Si cet exemple du rap est évoqué de manière inopinée dans le papier, c’est bien sûr parce que ce modèle commence à impacter les artistes. Inquiétant ? Pas tant que ça, puisque tout le monde y voit là quelque chose de motivant. « Ca peut être épuisant, si on se prend trop au jeu, comme pour tout j’imagine. Il faut que ça reste un plaisir, sinon ça se voit. » explique Inès Longevial. De son côté, Bieniek parle d’une compétition où il est « normal de se battre, et où il faut jouer avec ses propres règles ». Frédéric Forest, lui, ne se sent obligé de rien. Si les attentes liées à son métier de designer le contraignent à composer avec une réalité matérielle et économique, sa passion de dessinateur, elle, ne s’altère pas sous la pression du digital. Pour d’autres, comme la brodeuse Michelle Kingdom, Instagram permet de « passer les barrières et d’intéresser », là où il y a quelques années, une exposition classique l’aurait « mise en marge et cantonnée à son milieu ». Aujourd’hui, les formats qu’elle compose trouvent un autre sens et touchent un autre  auditoire sur internet, en rassemblant ceux qui d’ordinaire n’auraient jamais pensé à explorer son univers.

« C’est vrai que la décennie 2010 sera celle de l’imitation. »

Frédéric Forest

En 2017, l’art fait comme nous. Il s’épanouit comme il peut. Difficile pour lui de se réinventer après avoir connu tant de mouvements, déchaîné tant de passions et fait connaître tant d’humains hors-norme. Parfois, on pourrait le croire pris à la gorge tant il parait pâle, copieur, branlant, fatigué. La question aujourd’hui, c’est aussi et surtout de savoir si l’on peut encore réellement inventer, pas juste adapter ou rénover.

Frédéric Forest le dit bien : « La décennie 2010 sera celle de l’imitation. Celle de se croire VIP en prenant un Uber, celle de croire que Vêtements c’est génial en reprenant pâlement le travail de Comme des garçons et Margiela vingt ans plus tard… L’automobile cherche encore à se ressembler alors que ce n’est plus le sujet. La mode se regarde de plus en plus dans un miroir sans fin, et ne peut plus être critiquée. Les mêmes symptômes opèrent dans l’art. 

L’Art contemporain est rarement contemporain, il ressemble trop souvent à des supercheries de trader, il continue seulement d’étirer encore et encore des courants déjà trop vieux, s’amusant simplement à les agrandir pour les vendre plus cher.

Aujourd’hui, ce qui est inventé et révolutionné, ce sont les modes de diffusion et leurs vitesses ainsi que les engagements de durabilité, de leurs conditions et de leurs impacts sur l’environnement qui doivent être impliqués. Il y a énormément de choses qui sont encore à inventer… »

Véritablement, et plus encore en 2017, on ne sait rien de lui. Les artistes continuent de briller et de tomber dans l’oubli. Certains passeront à la postérité, d’autres n’auront fait que passer. Mais tous auront eu cette utilité : servir au monde, et apporter un peu de leur vision, loin des drames humains, des coups bas politiques, des crises économiques et des déchirures sociales. Ouvert à tous, l’art d’aujourd’hui reste le même que celui des années 1970 ou que l’art religieux de Caravage : il s’imprègne de son époque et fait vibrer.

Avec internet, il est désormais plus simple de s’émanciper des schémas classiques du monde de l’art, de l’œil parfois sournois du critique ou du besoin de rentabilité du galeriste. Plongé dans la sphère bienveillante du partage, l’art se fait autant pour soi que pour l’approbation instantanée de tous les visiteurs virtuels. Il est et restera nébuleux, dépendant de la créativité des uns, et indépendant de la volonté des autres.

Inscription newsletter

NEXT TRENDS

Connect
Inscription newsletter