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Musique

Pourquoi les rappeurs admirent tant les narcotrafiquants ?

En 2015, PNL baptisait son second album Le monde chico en référence à la mythique réplique de Tony Montana dans Scarface, dans celui-ci les titres à l’effigie des narcotrafiquants se succèdent ; « Plus Tony que Sosa », « Rebenga », ou encore « Porte de Mesrine ».

En 2015, PNL baptisait son second album Le monde chico en référence à la mythique réplique de Tony Montana dans Scarface, dans celui-ci les titres à l’effigie des narcotrafiquants se succèdent ; « Plus Tony que Sosa », « Rebenga », ou encore « Porte de Mesrine ». Aux Etats-Unis, les Migos rendaient hommage à Pablo Escobar avec leur titre « Narcos » extrait du projet Culture II. Qu’ils aient réellement existé ou qu’ils soient fictifs, les narcotrafiquants sont des personnages qui ne cessent d’inspirer les rappeurs, en France et de l’autre côté de l’Atlantique. Entre identification, fascination et glorification, comment expliquer le rapport qu’entretient la culture hip-hop avec le monde du narcotrafic ?

Du reality rap au gangsta rap

Pablo Escobar, El Chapo, Mesrine, Tony Montana, Don Corleone, Pietro Savastano, qu’ils aient été imaginés par des cinéastes ou qu’ils aient réellement défrayé la chronique internationale, les narcotrafiquants cultivent autour d’eux une rare fascination dans le milieu du hip-hop et plus particulièrement dans celui du rap. Parce qu’ils incarnent d’une manière l’archétype du self-made man, et que leur parcours de vie relève de la légende urbaine, ils présentent une source d’inspiration pour ces rappeurs qui cherchent très souvent à connaître une success story semblable. Dans le rap français et us, les références à l’effigie de ces figures se multiplient et parviennent à traverser les genres et les époques. « J’écoute du rap depuis que je suis gamin, et j’ai l’impression qu’au début, Tony Montana était un peu la figure idéale de ce phénomène de fascination : le mec qui s’en sort seul contre tous, l’immigré cubain qui débarque en chemisette et qui fout tout le monde à poil. Je pense que c’est ça qui est important dans l’image que le personnage d’Al Pacino véhicule. La drogue n’est finalement qu’un prétexte, le côté self-made joue beaucoup plus selon moi et je pense que c’est surtout à ça que les rappeurs se sont identifiés dès le début », explique Azzedine Fall, rédacteur en chef des Inrocks, « mais ça n’a rien de nouveau : le rap a longtemps été une forme d’expression étouffée et le délire de conquête qui sous-tend Scarface fait forcément écho à l’envie des rappeurs de tout exploser ».

Cet intérêt pour la culture gangster, en effet loin d’être inédit, prend ses racines aux Etats-Unis dès les années 1980 avec l’émergence du « gangsta-rap ». Popularisé sur la côte Ouest par des rappeurs comme Eazy-E, Ice Cube ou encore Dr Dre qui formeront en 1986 le groupe N.W.A, le genre originellement qualifié de « reality rap » tend à dénoncer les déviances socioculturelles subies par les minorités afro-américaines issues des quartiers défavorisés. Entre précarité, endiguement social, et violences policières, le mouvement ne cherche pas à faire l’apologie de la violence et de la criminalité, mais à dresser le portrait d’une société profondément inégalitaire. Tupac, affirmait d’ailleurs : « Je n’ai pas crée la violence aux Etats-Unis. Je n’ai pas inventé la vie criminelle. Je l’ai diagnostiqué ». Los Angeles, marquée par les politiques d’austérité néolibérales et les coupes budgétaires dans les programmes sociaux et éducatifs, ainsi que par la persistance de la ségrégation et de l’oppression raciale, va assister à l’essor des gangs criminels et à la montée de la violence dans ses rues. Force est de constater que dans un tel climat, les figures du narcotrafic, parce-que elles accèdent à un niveau de vie auparavant inenvisageable, et qu’elles transgressent les lois imposées par un système hostile, incarneront un modèle de réussite pour certains rappeurs, et jeunes originaires des mêmes milieux. Pour d’autres, le processus d’identification prend davantage de sens quand on sait qu’ils partagent eux aussi un passif dans le milieu du narcotrafic.

Une tendance commerciale ?

Notorious B.I.G, Snoop Dogg, Jay-z, ou encore 50 Cent, font partie de ces artistes qui ont mis un terme à leurs activités de trafiquants de drogue avant de bâtir une carrière dans la musique. Si leurs récits font écho à une réalité marquée par le crime et l’argent facile, ces derniers interpelleront très vite les producteurs de maisons de disques attirés par le potentiel commercial du reality rap, qui prendra le nom de gangsta rap. Rythmé par les lyrics et attitudes controversées des rappeurs, le gangsta rap sera ainsi commercialisé par une industrie qui exploitera un divertissement stéréotypé et fictionnel à offrir à un plus large public. Désormais, les références au narcotrafic pullulent et les légendes des rues new yorkaises, californiennes et d’ailleurs, s’invitent dans les lyrics de bons nombres de morceaux. De Rich Porter et Alpo, à Bugsy Siegel en passant par Luciano et Bonnie & Clyde, le rap mêle aussi bien les récits des gangsters qu’il les emprunte à ceux du  cinéma, avec les mythiques Tony Montana, Don Corleone, et Al Capone. Véritables symboles d’une témérité et d’une virilité suprêmes, certains rappeurs iront même jusqu’à reprendre les pseudonymes de ces figures du banditisme en se constituant un alter-ego, à l’instar de NAS qui se fera longtemps appelé NAS Escobar. Effet de mode oblige, le phénomène s’étendra jusque de l’autre côté de l’Atlantique, et séduira grand nombre de rappeurs français. Stomy Bugsy, Mafia K1 Fry, Lino, le Black Mafioso, puisent eux aussi leur inspiration dans l’imagerie mafieuse. Iam, iront même jusqu’à nommer cette nouvelle scène la « Criminosical music ».

Puissant synonyme d’entertainment qui choque autant qu’il séduit, la tendance du narcotrafic racontée dans le rap s’ancre aujourd’hui dans les codes du genre qui sont repris par les nouvelles générations de rappeurs adeptes des sous-genres de la dirty south, comme la drill et la trap. Alors que les paroles de la drill reflètent typiquement la loi de la rue, et se concentrent sur des thèmes sombres, nihilistes, et réalistes, la trap, elle, naît dans les « trap houses », ces maisons abandonnées dans lesquelles les dealers produisent, stockent et vendent leurs drogues. Le mouvement d’abord marqué par des artistes originaires du Sud des Etats-Unis, comme T.I, Gucci Mane, Lil Wayne, et Rick Ross, est ensuite porté par de nouvelles figures de proue à l’instar de Future, Fetty Wap, Chief Keef, 2 Chainz, ou plus récemment les Migos. L’étroit rapport qu’entretiennent les rappeurs avec le narcotrafic est de nouveau mis au cœur des titres, et comme leurs aînés issus de la scène gangsta, les rappeurs expriment une critique de la société américaine en s’appropriant des symboles de la culture dominante auxquels ils n’ont pas vraiment accès, tels que l’argent ou le succès.

10 ans après sa naissance aux Etats-Unis, la trap fait son entrée sur la scène rap hexagonale avec des artistes comme Kaaris, Gradur, Niska, Lacrim, et plus récemment Koba La D qui s’inspireront des codes et des thèmes chantés par les artistes américains. Si certains artistes français à l’instar de PNL, usent des références au narcotrafic pour raconter leur passé de dealers, d’autres surfent sur la tendance probablement pour apporter davantage de crédibilité à un storytelling souvent fictif. Selon le rappeur Prince Waly, « il y a pleins de petits gars qui en parlent dans leurs sons, qui se mettent même aussi à dealer par rapport à ça, pour être un peu dans la mouvance, pour faire un peu comme les rappeurs. Pour certains, ils n’ont pas du tout le profil de dealer, j’ai pu en voir qui n’avaient pas besoin de ça pour faire de l’argent, mais qui entrent dans ce truc-là, pour être un peu crédible dans le domaine. Aujourd’hui si tu veux faire de la trap crapuleuse, t’es obligé de de dire que t’es au quartier, que tu vends de la dope, et que t’aimes pas les keufs, et ensuite t’as directement une crédibilité.» Au-delà d’un processus d’identification, la glorification des narcotrafiquants dans le milieu du rap est alimentée par la starification de ces personnages dans le domaine de la culture populaire.

Glorification des narcotrafiquants dans la culture pop

Le 9 Décembre 1983, Brian Di Palma présente ce qui deviendra l’une des références incontournable du cinéma de gangsters, Scarface. 30 ans plus tard, et ce malgré une pluie de critiques, le personnage de Tony Montana demeurera iconique, et le métrage qui a choqué une génération de cinéastes s’érigera au rang de film culte, dont l’influence sur la musique, le cinéma et la pop culture ne cessera de s’étendre.  Tony Montana, décrit comme le modèle absolu du gangster impitoyable mais non dénué d’un certain sens de l’honneur, fascinera le mouvement du hip-hop au même titre que Son Goku, Luc Skywalker, ou encore Batman. Dès lors, les dialogues et les bandes originales du film seront inclues dans les morceaux des rappeurs les plus influents sous formes d’interludes, de rimes et de samples. Selon Azzedine Fall, les références des rappeurs relèvent plus souvent d’un engouement pour l’œuvre cinématographique que pour le lien avec la drogue. « Derrière la drogue, le narcotrafic et les dangers de la vie rapide et illégale, il y a surtout un intérêt prononcé des rappeurs pour le cinéma et la fiction. On limite souvent leur intérêt pour ces héros au seul aspect sulfureux, mais si Scarface a touché autant de gens c’est avant tout parce que c’est un film qui défonce et qu’il a traumatisé plein de générations. C’est aussi une affaire de goût et d’intérêt cinématographique. Quand un critique du Masque et La Plume exprime un commentaire élogieux sur un film comme Scarface, personne ne fait le lien immédiat avec son éventuelle fascination pour la drogue ou le crime. Les rappeurs sont des fans de ciné comme les autres et je pense même qu’ils ont un œil encore plus averti quand il s’agit de fiction. Certains écrivent leur carrière comme une petite mythologie. Il y a des liens évidents entre l’écriture rap et l’écriture ciné. »

Pour Prince Waly, les narcotrafiquants sont aujourd’hui davantage perçus comme  des personnages emblématiques que des figures du banditisme. « Aujourd’hui, c’est comme si tu parlais d’un Michael Jackson, ils sont devenus des icônes, et je pense que c’est pour ça qu’il y a une telle fascination autour de ces gens là, je pense que c’est par rapport à ce qu’ils ont accompli que ça soit dans le bon ou dans le mauvais, je pense que du moment où t’accomplis quelque chose qui marque le monde tu deviens vite une icône aux yeux des gens. » Puissants, menaçants, intimidants, mais surtout influents, les figures du banditisme s’élèvent en effet au rang d’icônes d’une part car ils réunissent le triptyque du parfait truand à savoir pouvoir, argent, et femmes, d’une autre, car leurs parcours dépassant souvent la fiction, deviennent un objet de fascination.

En 2009, le magazine Forbes plaçait Joaquín Guzmán, chef du cartel de la Sinaloa, dans son classement des personnalités les plus puissantes et influentes du monde pendant trois années consécutives. L’homme considéré comme le trafiquant le plus dangereux au monde par les Etats-Unis, après avoir marqué l’histoire en s’évadant deux fois de prison, est perçu comme une légende vivante, qui inspire aussi bien les rappeurs que les cinéastes. Avant lui, un dénommé Pablo Escobar avait marqué les esprits par un parcours similairement légendaire. A la tête du célèbre cartel de Medellin en Colombie, celui qu’on surnommait « Don Pablo » contrôlait à lui seul près de 80% du trafic de cocaïne exportée aux Etats-Unis, et était devenu à 35 ans l’homme le plus riche de la planète. Malgré les 4000 assassinats dont il était à l’origine, Escobar a su se façonner une image du « bienveillant malfaiteur » en construisant des maisons pour les plus démunis, ainsi que des écoles, des hôpitaux, des stades de football et des routes, ce que l’État colombien de l’époque n’était pas en mesure de faire, lui valant le surnom de « Robin des bois ». Au même titre que Tony Montana, Pablo Escobar ou El Chapo sont devenus des figures de la culture pop contemporaine. Leur légende étant à l’origine d’une frénésie audiovisuelle, ils se retrouvent aujourd’hui à truster le petit écran dans des séries à leur effigie, « El Chapo », ou encore « Narcos », qui ont marqué l’actualité cinématographique de ces dernières années, et qui ont donc alimenté les textes des rappeurs en France et aux Etats-Unis. Frank Lucas, célèbre gangster de Harlem aura notamment inspiré le cultissime « American Gangster » de Ridley Scott, repris de façon mémorable par Rohff dans sa réponse à Booba « Wesh Zoulette ».

9.4 j’suis plus proche de Ferrara que de T-Pain
A bout portant, Frank Lucas, Denzel
A la-à la Denzel ! A la-à la Denzel ! A la-à la Denzel ! Washington Denzel !
Wesh… Zoulette ! Wesh… Zoulette ! Wesh… Zoulette ! Wesh… Zoulette !

Mais si dans l’illusion, les narcotrafiquants incarnent une source de fantasmes, sont-ils à envier dans la réalité des faits ? Azie, ancien acolyte de Rich Porter et Alpo, qui ont inspiré le métrage « Paid in Full »déplore cet intérêt que portent les rappeurs aux gangsters, « Les dealers et autres gangsters finissent toujours par le payer. En l’espace de quelques années, au moins soixante personnes se sont faites assassinées autour de moi. Aujourd’hui, ce qui me fait le plus mal c’est d’entendre tous ces rappeurs qui s’approprient notre histoire pour glorifier le crime. S’ils avaient vraiment vendu de la drogue, ils ne s’en vanteraient pas. Aucun dealer n’est fier de son passé. Les gangsters vivent dans le mensonge. Ce sont des gens tristes. »

Article rédigé par Anaïs Merad

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