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Ramdane Touhami pour TRENDS : « L’idée, c’est une histoire de feeling »

Prescripteur audacieux, entrepreneur ambitieux, agitateur agité, grande gueule, provocateur… TRENDS periodical a rencontré l’inclassable Ramdane Touhami.

Prescripteur audacieux, entrepreneur ambitieux, agitateur agité, créateur passionné, esthète, grande gueule, provocateur… TRENDS periodical a rencontré l’inclassable Ramdane Touhami.

A contre courant, aux quatre coins du monde mais toujours au bon endroit, c’est dans la justesse et la précision qu’il mène depuis 20 ans projets marqueurs et conquètes en cascade.

La dernière s’appelle L’Officine Universelle de Buly, à Paris, 6 rue Bonaparte. Mise en scène dans un écrin d’exception au style 18ème revisité, Buly est une véritable secousse dans le milieu de la beauté et une révolution pour ses produits. Avec ses recettes ancestrales dépoussiérées, ses trésors exotiques et ses efforts d’innovation, la «rareté» Buly a séduit le monde entier. Ensencé par les médias, le concept connaît un succès retentissant.

Niché au dessus de cette précieuse adresse, c’est au sein de son espace de travail, hommage personnel et décalé au designer Rietveld, que ce créatif hors paire nous a reçu, en compagnie de son ami menuisier designer Jean François Berthon.

Senteurs, tendance, skate, mode, fête, voyage, lifestyle … Ramdane revient ici sur son parcours, avec punch et fracas.

TP :  Vous avez effectué depuis les années 90 jusqu’à aujourd’hui un nombre impressionant de projets. Votre parcours de créatif «touche à tout» balaye un large spectre de disciplines. Pouvez vous nous aidez à le résumer?

 Le résumer est un peu compliqué, il y a beaucoup de choses. J’ai été dans plusieurs domaines, la mode, le parfum, le design, des choses créatives. Je vais où la vie me mène. On s’est connu avec Jeff à l’époque du skateboard déjà dans les années 90, ça ne nous rajeunit pas et puis après je n’ai pas vraiment choisi les endroits où je voulais aller, c’était par accident, la rencontre avec quelqu’un .. Le seul truc qui est resté de toutes ces années c’est la mode mais sans méthodologie. La mode est arrivée par une fête, le skateboard est arrivé quand j’avais 14 ans… Je n’ai pas l’impression de travailler. Disons qu’il n’y a pas de plan de carrière.

 TP : C’est surtout par plaisir ?

 Je ne me fais pas plaisir, mais je remplis mes journées sans qu’il y ait ce rapport et cette impression de travailler.

TP : Votre chemin est atypique, il est tout sauf linéaire, quel a été votre plus beau virage ? Pouvez vous nous raconter l’histoire de ce projet ?

 Dans un pays comme la France oui il est atypique mais dans d’autres pays il y en a beaucoup qui ont ce genre de parcours. Le plus beau virage est le moment où je suis parti vivre au Japon, où j’ai complètement changé ma façon de travailler. Il y a une sorte de rigueur qui s’est imposée.

TP : Vous êtes depuis 20 ans un créateur d’émulsions. La tendance évolue et vous restez un de ses agitateur principal. Etre prescripteur est ce une question d’extrême attention ou de parfaite intuition ?

C’’est surtout beaucoup de travail, beaucoup de précisions, toujours un peu d’intuitions. Mais l’intuition est naturelle, on l’a ou on ne l’a pas, on sent ou on ne sent pas. Il faut réfléchir et travailler sur l’idée que personne n’a eu.

L’idée c’est une histoire de feeling. Je ne sais pas pourquoi vous avez besoin de regarder tous les jours des blogs, dans cette nouvelle génération les mecs sont tous les jours bloqués sur des blogs de design ou des sites et des magazines. Malheuresuement ces gens là vont finalement avoir accès à la même information. Donc quand ils synthétisent dans leur tête, cela finit par être le même projet. Ce n’est pas le truc que je fais, les infos qui m’intéressent sont très loin de celles que tout le monde regarde, et finalement ça fait que je suis à côté de la tendance, mais jusqu’à ces 10 dernières années, j’étais dans le mille.

TP : Comment alimentez vous vos idées créatives ? Quelles sont vos principales influences ?

C’est très simple, on est beaucoup dans ma tête et on fait des colloques, des réunions, des brainstormings à plusieurs. Il y en avait que je n’avais pas vu depuis 20 ans et je les croise dedans et voilà .. Ce n’est pas très loin de ça.

Depuis 3 jours on travaille sur les nouveaux packagings de Buly, sur les nouveaux produits. L’idée vient des voyages.. Les displays en marbre qu’on a chez Buly, c’est un truc que j’ai vu il y a 8 ans dans une piscine. Et quand on cherche l’idée ça revient. Les gens sont beaucoup trop dans ce rapport « école ».. Moi je n’ai pas fait d’école, je n’ai pas de bac donc ça créée brut sans analyse. Quand tu synthétises les idées, «peut être, je crois que,  la série prochaine va être kaki..», erreur totale, ça ne marche pas comme ça.

TP : Finalement qu’est ce que la signature Ramdane Touhami ?

Pas une signature, mais une philosophie, toujours cette philosophie japonaise «on fait le bon produit», avec ce triangle qui sont les 3 angles les plus importants dans mon travail : «je dois être content», «mon client doit être content» et «mon fournisseur doit être content». Dans la réalité, chaque étape doit être un kiff pour tout le monde donc quand le client achète il doit prendre plaisir. Ca c’est vraiment ma philosophie car je suis plutôt shintoïste, c’est vraiment une philosophie sur laquelle je m’appuie. Si une des 3 personnes n’est pas contente le projet ne prend pas. Et il faut surtout surprendre.

TP : Vous êtes un globe trotter, vous avez vécu à Tokyo, New York, Londres, Tanger, Paris .. où vous avez dirigé artistiquement divers projets. Est ce plus facile d’insuffler la nouveauté à l’étranger plutôt qu’en France ? 

Non, là c’est quand même hyper globalisé, à très peu de choses près. Le japonais branchouille a accès aux mêmes infos, encore que c’est un truc à part le japonais, mais le Hongkongais, le Newyorkais, ou l’italien a à peu près accès aux mêmes matières. Il y a quand même une vague énorme très corporate qui pousse tous le monde à à peu près aimer les mêmes choses.

Les gouts sont globalisés ce qui est vraiment problématique. Je suis assez fasciné par les gens qui créent leur style et créent leur marque autour de leur style. Vous prenez Lady Gaga, je me rappelle l’avoir vu en concert à Paris devant 15 personne au VIP room, 6 mois après elle remplissait Bercy. Entre temps elle a rencontré Nicolas Formichetti qui a créée son style, qui a tout fait, il a créé une image. Parlons de Peter Marino. Le mec était en costard cravatte, père de famille et le lendemain il s’habille en une sorte de manga homosexuel sorti d’une BD underground du début des années 80. Il s’habille comme ça et tout le monde le prend au sérieux. Il faut que chacun garde son univers et ça sera tout benef’ pour la création. Je pense qu’il est temps que chacun créé son truc. Vraiment, en version extrême.

TP : Vous commencez dès 1992 avec le dvpt des T-Shirt Teuchiland, puis avec des projets comme le concept store L’Epicerie..

Hier j’ai reçu un email d’un acheteur d’un grand magasin qui achetait mes vêtements et qui me disait «tu étais malheureusement trop en avance sur ton temps» et le système et la tendance veulent qu’on soit pile dans le temps. Ca je ne sais pas faire.

TP : Vous cherchiez à militer pour une sorte de contre culture, de détournement de phénomène hype. 

On les déclenchait surtout.

Les gens se souviennent des fêtes de l’Epicerie, parce que c’était fou. Pour vous donner un exemple, on est arrivé, on a attaqué le Marais. On avait loué un vrai tank de l’armée française avec des jeeps et tous nos potes habillés en camoufflage. Lancer le camoufflage avec des fêtes top secrètes. On ne s’y attendait pas, c’était vraiment dingue. On avait un truc assez incroyable c’est qu’on faisait des collab’, avant tt le monde. Colette ne faisait pas de collab’, personne n’en faisait, c’était en 97. On faisait des collab’ inversées, avec Paul Smith , Marc Jacobs avant qu’il prenne Vuitton, des designers Japonais, toute une génération, Jérémy Scott a commencé chez nous.. Et on faisait «l’Epicerie pour Marc Jacobs», «l’Epicerie pour Jérémy Scott» en fait on faisait notre propre création pour eux. On n’attendait pas qu’il fasse une création pour nous, on leur disait «voilà nous on pense que tu es ça» et on créait, et ils acceptaient ça, c’était assez marant. L’Epicerie, si on prend cet angle là, était en avance sur tout le monde. Mais on s’en foutait, parce qu’on était punk, les gens venaient nous voir pour notre énergie. Les clients ne comprenaient rien. On s’amusait, on s’éclatait, mais ça coutait chez de changer la boutique toutes les semaines, donc il a fallu s’arrêter.

TP : En 23 ans la notion de temps / de mode a beaucoup changée. Avec internet, réseaux sociaux, et nouveaux médias, l’info circule plus vite, et les idées aussi. Comment cela a impacté l’évolution de vos projets ?

Aucun impact.

Oui le pipe de l’information est plus rapide évidemment, mais ça n’a vraiment aucune influence. D’ailleurs je suis devenu réac’ par rapport à ça. J’ai commencé à faire des trucs du 18ème siècle, du 17ème siècle, l’opposé de ce qu’on attendait de moi. On pensait que j’allais vers le branchouille, et je suis allé faire des institutions de vieilles. Le carnaval, la hype ça ne m’intéressent plus, je suis pour un bon produit.

Je me suis demandé au début des années 2000 comment se lancer dans le business institutionnel : faire des affaires, créer ou relancer des marques, même reprendre des marques qui ne vont pas très bien, ce qui était le cas de Cire Trudon, et d’en faire des institutions. Et là reprendre le business de A à Z, repenser le produit, repenser le truc.

J’ai inventé les cloches sur les bougies, vous les voyez dans le monde entier. Quand j’ai repris Cire Trudon j’ai eu totale liberté, et le coup par exemple des cloches sur les bougies est venu du fait que les bougies en display dans les boutiques prenaient la poussière et qu’il fallait les protéger. Un jour j’étais à un dîner chez des amis il y avait des cloches à fromage, j’en ai ramené une à la maison, c’est pile la taille, ce sont les mêmes qui sont dans la boutique. C’était parfait pour la poussière. Il n’y avait pas encore la mode des cloches sur tout, sur les bougies, bijoux, sur tout et partout. Le lendemain en levant la cloche, une odeur est sortie, et me suis dis qu’il y avait un rituel à faire là. Les gens ont accroché, ça fait parti d’un des succès de la Cire Tudon. Après il y avait la façon dont on faisait le verre qui était aussi une révolution, dans une technique du 17ème siècle. Quand je me mets dans un projet je m’y met à 3000 %. Ensuite il y avait les histoires des odeurs, les autres faisaient des parfums, moi j’ai fait autre chose, des odeurs, rien à voir. Donc on a fait des recherches d’odeurs dans pleins d’endroits. Je ne voulais pas faire des bougies qui imposaient des parfums qui soient de près ou de loin corporels, ça me dérangeait. Après il fallait faire le lien historique. Ca a prit un an tout ça. Et ça a été un carton.

La précision je l’ai depuis mes 15 ans. Mon premier tee shirt ça a été pareil. On est proche de la folie, tout doit être précis.

TP : Vous semblez avoir un sens de la mise en scène et du détail affuté. Vous soignez beaucoup votre image et l’ouvrez jusque dans votre sphère privée : la famille, l’appartement, le bureau.. Selon vous cultiver un style passe donc par la maîtrise d’un art de vivre global ? 

On maîtrise tout et rien. Non je ne maîtrise pas mon image. Je trouve même qu’il y a des erreurs parfois. Je n’ai pas l’impression de maîtriser quoi que ce soit. Quand je montre des photos de mon appart, ou bout il y a un lien ou quelque chose à montrer en rapport avec mon travail. Par contre je sais ce qu’est l’image, c’est ce que je fais.

TP :  Vous nous recevez dans votre bureau que vs avez tout fraichement redesigné. Quels sont vos partis pris pour un espace inspirant ?

R: C’est pour ça que Jean François Berton est là. Jeff et moi avons travaillé sur plusieurs projets ensemble, on s’est connus dans le skateboard, on avait fait à l’époque notre première collaboration. Et puis on a eu une affinité. Il a commencé dans le skate et puis du jour au lendemain il est devenu menuisier/ébéniste. Puis après il a commencé à être de plus en plus précis, à être plus créatif, et on a fait une boutique en 2004, le bureau Politique, qui était «on a pas de tune, comment on fait ?» et on s’en est bien sorti ! On a recouvert la vitrine on ne voulait pas que les gens voit l’intérieur, tout le monde était choqué, on a mis une porte orange fluo, d’ailleurs c’est un gimmic qu’on retrouve dans plusieurs de mes boutiques. On a appris à travailler ensemble, puis après il a fait les gros oeuvres pour Buly en bas avant l’intervention de l’ébéniste spécialiste du 18ème siècle. Après on s’est dit qu’on ferait le bureau ensemble. On s’est assis, pris un style et on a fait une forme. Lui après a décliné la forme et a fait ce concept de la table qui traverse les murs, et a fait les meubles qui vont avec. A deux on génère. Avec Jeff c’est très peu de moyen et on lance la machine. C’est assez fascinant de travailler d’abord avec un pote qui est cool, mais avec quelqu’un comme ça qui créé de la réalité.

J.F: Il a bien fait le résumé. Au début c’était le skate, la rigolade. Quand je suis parti vivre à Miami on s’est perdu de vue, c’est là bas que j’ai appris à travailler le bois. De formation je suis pâtissier. J’ai appris le bois avec un ami qui se remettait à son compte, il cherchait quelqu’un pour l’aider, ça m’a branché, c’était il y a 15 ans. Après je suis rentré en France, on s’est retrouvé. Et le projet était séduisant.

R: J’ai une passion pour Rietveld, ce designer du 20ème siècle, je me suis dis qu’on allait lui faire une dédicace. L’idée était de faire un bureau très agréable. L’environnement ici est assez incroyable, les gens adorent, la lumière est sublime, le son est cool, l’ambiance est cool.

TP :  Buly est il un projet plus symbolique qu’un autre pour vous ? 

C’est un projet qui a 12 ans. Il a été pensé en 2002, il n’a pas pu se faire tout de suite. L’idée était d’aller à la recherche des secrets de beauté dans le monde entier. On vient d’ailleurs de signer un livre avec Hachette à ce propos. C’est le projet le plus abouti, pour lequel j’ai le plus de moyens. Donc c’est un projet qui me tient à coeur et qui a l’air d’avoir un beau succès, le plus travaillé jusqu’à présent, et qui continue d’évoluer. Je pense que le moment où je pourrai dire «je suis fier de Buly» sera à partir du mois de septembre. Il y a 3-4 nouveaux projets révolutionaires qui arrivent sur Buly, vous allez voir, c’est assez dingue.

TP : A la fois un grand saut en avant (le contenu) et un grand bond en arrière (le contenant), comment parlez vous du luxe et de la beauté à travers ce projet ?

Le luxe est un mot que l’on n’utilise pas. On a pris la beauté dans son ensemble. On pense qu’il y a des secrets de beauté qui sont là depuis des milliers d’années et méritent d’être encore vendus. Pour certains ça avait été repris par des boutiques de hippies, ça sentait le chanvre c’était assez mystérieux. On l’a repris, re packagé, et on a ramené de la bonne qualité. Notre objectif est avant tout de faire perdurer ces secrets de beauté.

Deuxièmement c’est de vendre des produits sans rien de cancérigène. Notre truc c’est d’éviter de se moquer des clients. Maintenant derrière il y a tout ce côté révolutionnaire autour de la couleur qui va arriver. On fait également entre autre le plus grand pot pourri du monde, on a réuni 700 plantes et racines parfumées pour faire des pots pourris comme personne n’a jamais fait.

On développe plein de nouveaux trucs, d’une façon rétro mais à la fois extrêmement révolutionnaire.

L’idée c’est que le packaging et l’intérieur du produit soient au même niveau. Voire le produit meilleur que le packaging, ce qui est le cas.

TP : Vous reste-t-il de nouveaux challenges ? Lesquels sont-ils ?

 Il y a un nouveau projet autour du couscous qui arrive, qui s’appelle Kouskousclan, c’est un mouvement, pas qu’une couscoussière. Notre devise : on est racistes contre tous les gens qui n’aiment pas le couscous. Le logo c’est 3 personnes en djellaba pointue, avec des barbes. C’est une chaine autour du couscous assez marrante, on est allé très loin. On est allé chercher les graines, le blé, on est en train d’investir un moulin et on refait nous même notre semoule de couscous, on développe des sauces. C’est un gros projet, avec des coopératives en banlieue.

J’aimerai bien aussi revenir à la mode. Refaire des vêtements, c’est un truc qui me manque. Maintenant ça y est, j’ai le bon âge pour revenir. Ce que je veux c’est des bons vêtements, une boutique rigolote, ça fait 2 ans que je l’ai en tête. On va faire une boutique folle, qui va plus ressembler à une église qu’une boutique.

Il y a aussi notre magazine Corpus. Et puis Buly nous prend beaucoup de temps, il y a encore beaucoup de boutiques à ouvrir.

Propos recueillis par Florence Vlemelinx.

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