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Mode

Flashback : la mode sexy du Gucci de Tom Ford

Dans un article du New York Times de 2005, annonçant l’arrivé de Frida Gianni à la tête de la maison de mode Gucci, un journaliste désigna une blouse réalisée par le précédent directeur artistique, le Texan Tom Ford, comme « sensuellement louche ». Sensuelle car, trop transparente ou trop échancrée, conçue en noire ou dans une couleur comme l’émeraude ou le saphir, elle est capable d’insuffler un rapide énervement érotique. Le côté « louche » tient dans une décennie de vêtements qui instaurent un trouble, des pièces luxueuses et aguicheuses qui conquirent tout sur leur passage.

 

Le luxe à l’état pur

 

Gucci défilé et Campagne : Automne-Hiver 1996

Dès son arrivé à la tête de Gucci en 1994 Tom Ford cherche à s’affranchir des tendances minimalistes belges et japonaises, qui s’incarnent chez Anne Demeulemeester ou Issey Miyake : une mode bicolore, un peu grunge, floutant les formes du corps par des coupes amples.

 

La mode Belge et japonaise des années 1990 : à droite Ann Demeulster et à gauche Issey Miyake.

Ford va définir une mode basée sur un luxe pur, travaillant des coupes flatteuses et des matières premiums : chaussures en lézard, blousons en soie, manteaux en fourrure. Des pièces couteuses qui assureront bientôt un revenu de 2 milliards d’euros au groupe qui possède la marque, Pinault – Printemps – La Redoute (aujourd’hui Kering). Chez Ford, pas de revendication politique ou d’intellectualisation du vêtement. Il place son esthétique dans la séduction, au même titre qu’un objet qui donne du plaisir à être vu et consommé.

Campagne Gucci 1996

Pour Tom Ford : « La mode est un luxe. De même que le caviar et le champagne. Cela paraît frivole, mais dans le monde où nous vivons, c’est important de profiter de l’existence, d’être bien dans sa peau, d’avoir des chaussures qui nous donnent une allure folle. C’est un plus dans la vie. La mode a ce pouvoir, elle est là pour procurer du plaisir ».

A la tête du prêt à porter chez Gucci pendant dix ans, Tom Ford va créer un vestiaire féminin versatile, une des clefs du succès commercial de la marque. Brouillant la ligne de séparation entre vêtements du jour et du soir, les tailleurs pantalons semblent conçus tant pour une réunion de travail qu’un cocktail de fin de journée. Une réponse à l’imaginaire de la femme des années 90’s working girl et fatale.

 

Inspiré par le sexy, et la sensualité des corps

 

Campagne Gucci 1999 (image le plus à gauche) et deux images de la campagne 1995.

L’autre force de frappe ce sont les robes du soir, qui habilleront anonymes et tapis rouges. Empreintes de glamour à la limite parfois d’une forme de vulgarité, elles sont construites pour mettre en avant le corps des femmes, leur donner de l’assurance. Les couleurs sont relativement vives, gaies et chaudes : blanc, orange, ivoire, camaïeu de rouge et jaune. Les coupes soulignent les contours de l’anatomie, les découpes et échancrures sont là pour révéler la peau et d’une certaine manière la nudité. En effet, Ford cherche à toucher au-delà du vêtement ; ce qu’il trouve beau, c’est le nu, le corps à la peau dévoilée et cela guide sa vision créative : « C’est peut-être ce qui me pousse à faire une mode sexy, parce que si je peux enlever des vêtements, je le fais. Ce n’est pas simplement un truc pour faire vendre. C’est mon goût personnel. Je suis sensible à la beauté des hommes et des femmes nus ».

De gauche à droite : Jennifer Lopez en 1999, Campagne Gucci de 1996 et Halle Berry en 2003

Le vêtement Gucci des années 90’s place ainsi au centre de sa stratégie créative le désir. D’autres créateurs de l’époque, comme Gianni Versace proposent aussi cette mode dite « sexy ». Mais le propre de Gucci à ce moment-là, est d’arriver à proposer une image de marque qui va avec, notamment en termes de communication. Les campagnes de pub de l’époque font encore date dans l’histoire de la mode.

Shootées par Mario Testino, elles sont frontales dans la manière dont elles traitent le vêtement comme acteur principal d’une mise en scène érotique. Les clichés nous font plonger dans l’énergie des pulsions, exaltant une sexualité sans gêne, donnant au grand public la possibilité d’être voyeur et celui-ci adore. Ces campagnes, cela fut souvent dit, empruntèrent les codes de l’industrie du X, créant ce qu’on appela alors le porno-chic. Elles furent aussi révélatrices d’un air du temps qui déjà aspirait au changement : la question du pouvoir entre les hommes et les femmes est au centre de l’ensemble des clichés. Parfois l’homme domine, parfois la femme s’empare du pouvoir, à d’autres moments ils sont tous les deux assujettis à leurs désirs.

De Gauche à droite, Campagne Gucci 2000 et deux clichés de la campagne Gucci 1996

Tom Ford crée aussi les collections homme, il fait de ce dernier l’égal de la femme et bascule les codes liés habituellement à la féminité dans l’univers masculin : attitudes et poses sexualisées, dévoilement des parties du corps, utilisation de matières moulantes. Le corps est rendu sexy, mot inventé pour et par ce moment de mode que sont les années 1990. Cet homme au khôl noir sous les yeux, aux joues glabres pris sous les flashs de Mario Testino, s’approprie les codes féminins pour mieux accentuer sa masculinité et la désirabilité qui en découle.

Campagne Gucci 1997

1994-2004, 10 ans de révolution mode

Opportunisme mercantile ou volonté de faire évoluer les mentalités, Tom Ford a su créer l’évènement pendant 10 ans, redorant l’image d’une maison italienne qui, était dans les années 80 au bord de la faillite financière. Ford défend sa démarche en confiant qu’il n’est pas intéressé « seulement par les vêtements, mais à la vie qui va avec ». Soit. Mais qu’est ce que cela veut dire ? Peut être une forme de liberté, celle d’assumer sa personnalité, de proposer une apparence sophistiquée s’affranchissant de certaines règles morales et sociétales. Si le scandale fut le corollaire de cette décennie chez Gucci, il éclipsa peut- être le charme de certaines pièces unisexes : les jeans délavés rappelant l’attachement de Tom Ford au Texas ou encore des blousons et kimonos en satin de soie de 2003. Finalement, derrière les frasques et la provocation, cette période dépeint surtout un moment de sensibilité où les questions d’identité, d’intimité et de rapport au corps sont au cœur même du processus de création du vêtement.

Campagne Gucci 2003

Article rédigé par Florent Cammas

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