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Skin as screen : l’émotion humaine de demain sera digitale

A la frontière du visage et de l’écran , il y a la projection. Celle que l’on se fait d’un monde virtuel, futuriste, parfois idyllique de tolérance et de liberté. D’un soi unique et décomplexé des notions mêmes de beauté. Alors que les filtres automatisés peaufinent nos apparences, développant petit à petit le concept du make-up 3D, la peau devient le nouvel écran sur lequel se dessine un tout nouvel avatar.

Transcender l’expérience humaine via le digital

Instagram est un délicieux catalogue de ces êtres du futur. Il suffit de parcourir les profils des personnages chimériques et numériques aux comptes influents pour avoir une idée très nette de ce que le monde de la beauté réserve comme standards aux hommes du siècle prochain. Dreadlocks géantes et ornements géométriques phosphorescents dessinent les contours d’un être transhumanisé en reconnexion avec ses origines tribales lorsque des émaux lisses et scintillants le portent sur l’autel fantasmé d’un futur artificiel, confortable et éclatant. Sourcils plumés, chevelures tachetées et pommettes-nageoires : ultime bête parmis les automates, on se souvient de ceux que l’on a laissé partir et on leur rend hommage. On s’en attribue les forces et les beautés. Avec ces pétales ondulant le visage, difficile, désormais de se fermer à toute féerie : nous pouvons enfin transcender l’expérience humaine. Nous sommes le futur, à l’avènement de la singularité.

 

 

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Social media made me blue

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Mais comment avons-nous atterri là ?

Dans un billet qu’elle livre à la plateforme Dazed Beauty, la spécialiste du futur Geraldine Wharry imagine avec fantaisie l’humain “ renouer avec ses instincts primordiaux d’amour et d’acceptation. Avec le pouvoir de concevoir notre futur idéal, nous sommes présentés avec un menu : de la créature florale à la fée, en passant par les poils de plumes, aux couleurs de peau brillantes et structurées, ou tout simplement en restant neutre. Le choix nous appartient. Le courage de vous exprimer à travers tout changement sociétal, économique et culturel que l’avenir peut présenter. Dans un monde complexe de styles, de tatouages ​​et de signifiants tribaux, le maquillage est désormais classé comme une langue avec son propre dictionnaire.”

Si elle a raison, les filtres et make up 3D deviendront l’ode d’un humanisme élevé et sophistiqué, libéré de tout jugement et regard des autres. Sinon, nous continuerons d’être martyrs du sentiment d’insécurité grandissant déployé de manière toujours plus agressive par le microcosme de ceux qui font la mode et la beauté. Ines Marzat alias Ines Alpha, artiste 3D longtemps directrice artistique pour de nombreuses marques de cosmétiques, nous rappelle que tout cela est le joug des “ magazines et marques qui renforcent les standards uniques et rigides de beauté populaire. A la retouche s’ajoute désormais la chirurgie esthétique et les méthodes sportives et diététiques extrêmes rendant ces standards de plus en plus inatteignables.”

Car quand l’idée d’un monde fantasmagorique nous semble trop spéculative, on se souvient subitement qu’ il a fallu moins de 3 ans à Facetune, l’application créatrice de filtres automatisés en temps réel rachetée par Snapchat puis Instagram (et Facebook) pour nous habituer à interagir sous l’apparence d’un chien ou à vomir des arcs-en-ciel. Il n’est pas un ado qui ne pratique pas le rituel du filtre pour s’exprimer via les réseaux sociaux. Plus vicieux encore : lèvres pulpeuses , nez affiné et regard agrandi; 1 filtre sur 3 a pour vocation de rapprocher le physique de son utilisateur des critères de beauté eurasiens, sans parler d’éclaircissement de la peau et des yeux.

L’imaginaire incarné

Quand en 2003 on postait des photos de mangas sur Skyblog, en 2018, on incarne le Manga. Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Boston révèle que certains adolescents américains souhaitent recourir à la chirurgie esthétique pour ressembler à leurs selfies retouchés à l’aide de filtres. Dans cette vidéo, une Youtubeuse armée de la palette préférée de Kim Kardashian et de lentille de contact bleues déploie un tutorial make-up permettant à ses abonnés de reproduire l’effet d’un des filtres les plus populaires chez Snapchat. “ Si d’un côté, on encourage une beauté naturelle, décomplexée et positive, une beauté personnelle, tolérante et épanouie, de l’autre, on présente une beauté inaccessible, ou pire, réservée aux plus riches, usant d’opérations chirurgicales dès l’adolescence et ne se présentant sur la toile qu’avec des filtres ou retouchés.” déplore Ines Alpha. Un gouffre qui évoque une dystopie superficielle et déséquilibrée.

Mais il s’agit du présent. Ines Alpha, Nobumichi Asai ou encore Salvia sont eux, déjà dans le futur. Si l’on redoute des prochaines décennies qu’elles annoncent l’ère de l’androïde et avec elle une crise existentielle humaine collective, ces e-makeup artists s’en font une toute autre idée, plus optimiste . Et c’est justement en réponse à l’esclavagisme de notre visage, déjà largement victime de la technologie de la carte faciale jusqu’alors utilisée dans les initiatives de marketing, que ces précurseurs agissent. “ Même si ce que je fais est aussi illusion, mon but n’est pas de rendre les gens plus beaux selon certains critères mais justement d’en sortir, d’aller plus loin.” considère Ines Alpha.

Car si, à la manière de Leeloo dans le Cinquième Elément, utiliser un masque digital Chanel plutôt qu’un rouge à lèvre, c’est quand même tomber dans le piège du marketing, on ne peut ignorer l’ouverture du champs des possibles qu’offrent ces nouvelles options. Avec les progrès technologiques grandissant, Ines Alpha espère “rendre portable ces parures IRL (In Real Life). Pas seulement lors de défilé, je pense plus aux implications dans le quotidien, dans la rue, au travail, dans les transports en commun. C’est un rêve un peu fou ! D’ici là, j’ai pour projet de développer des filtres en réalité augmentée sur Snapchat où, je croise les doigts, ma propre application pour qu’un maximum de personnes puisse les essayer, les porter en utilisant simplement un smartphone.”

 

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who should I be for halloween?

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La société d’aujourd’hui – et plus encore celle de demain – exprimant un désir de plus en plus grand de se transformer, l’art numérique questionne le fantasme d’une apparence totalement libérée de tout. En créant un monde sans codes, il tend à laisser s’exprimer un nombre infini de physiologies et au sein duquel chacun développe sa propre apparence, son univers, ses codes, se désaliénant petit à petit des diktas Kardashian et L’Oréal.

Mais, dernier messager des émotions dans un monde de l’avatar pour tous, le visage ne sera-t-il un jour qu’un vestige oublié de tous ?

 

Article rédigé par Andréa Visini

 

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