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Mode

Mégastores vs. griffes de niche : H&M, l’empire contre-attaque

Tout le monde connaît H&M. Mais tout le monde n’y achète pas, ou plus. Comment (re)conquérir un public lassé par la mondialisation, les scandales écologiques, éthiques, et en plus, fatigué de devoir fouiller dans des kilomètres de rayons ? La solution : viser plus petit… pour rester gros.

Tout le monde connaît H&M. Mais tout le monde n’y achète pas, ou plus. Comment (re)conquérir un public lassé par la mondialisation, les scandales écologiques, éthiques, et en plus, fatigué de devoir fouiller dans des kilomètres de rayons ? La solution : viser plus petit… pour rester gros.

Deux lettres, présentes dans plus de 4500 magasins et plus de 60 pays du monde. Une place de leader planétaire de l’habillement, juste derrière Inditex (le groupe qui abrite Zara). Des collabs qui génèrent des heures d’attente et des sold-out immédiats. Des publicités en 4×3 dans le métro, pour vanter des robes à 14€99. Et pourtant… une marque en perte de vitesse, avec des ventes qui stagnent et des actions qui baissent (dans ce milieu ultra compétitif, si on n’a pas une croissance à deux chiffres, on est considéré comme en échec par les actionnaires – ce qui est tout à fait discutable). Un géant qui cherche à trouver le salut ailleurs. Où ? Dans les niches. Flasgships généralistes vs. boutiques pointues, c’est le paradoxe (et le dilemme) H&M.

 

Fast fashion : de l’addiction à l’overdose 

Mais revenons un peu en arrière. Pas nécessairement en 1947, date de la création d’H&M, mais en 1998, lorsque la griffe a ouvert sa première adresse à Paris, rue de Rivoli. C’était l’émeute, une file d’attente digne, aujourd’hui, d’un magasin Supreme en période de soldes ! L’Espagnol Zara appartenait déjà au paysage, mais l’arrivée de son concurrent suédois entérinait cette frénésie d’une mode « démocratique » – pas chère, facile à shopper parce que sans vendeuse en train de suivre le client des yeux, avec toutes les tendances représentées sous un seul et énorme toit, la fille rock, la femme classique etc etc. Le terme de fast-fashion s’est imposé très vite, parce que c’était une mode qui réagissait presque immédiatement aux tendances nées des podiums ou de la rue. Puis très vite, un autre qualificatif : mode jetable. Les vêtements H&M étaient jetables de par leur nature-même (pas exactement le top côté matière et finitions), et puis parce que c’était l’époque, une époque où l’on pouvait entendre des propos aussi aberrants que : « C’est génial, tu achètes une jupe et si tu ne l’aimes plus, la saison suivante, tu la jettes » (anecdote véridique). On était en pleine diffusion de la série Sex & the City, il fallait absolument créer non pas son style, mais des styles, « faire du mix & match », « s’amuser avec la mode », selon les diktats en vigueur. H&M correspondait parfaitement à l’air du temps.

Vingt ans après, les choses ont changé. Le minimalisme est passé par là, avec l’essentialisme à la Muji et le tri des placards à la Marie Kondo. La « capsule wardrobe » a pris le relais, à destination de consommatrices perdues sous des piles de chiffons. Et puis surtout, la conscience écologique est devenue inévitable. Peut-on encore légitimement consommer des fringues en tissu synthétique à un rythme effréné ? Des scandales récurrents (incinération des stocks d’invendus, secrets de fabrication des jeans follement polluants, conditions de travail dans les sweat-shops) ont achevé de convaincre que non. Jusqu’à la tragédie du Rana Plaza, au Bangladesh, le 24 avril 2013, où sont morts 1134 travailleurs occupés à fabriquer ces t-shirts à quelques euros qui inondent notre marché (H&M ne faisait pas fabriquer dans cette usine, mais son image a malgré tout été écornée, comme celle de toute la mode à bas prix). Bref, après les années de hype, la marque a perdu de sa branchitude et, concurrence du shopping sur Internet aidant, de sa pertinence, ses boutiques sans cesse plus gigantesques devenant, au mieux, des supermarchés de la mode où aller faire un plein de temps à autre, et au pire, un endroit à éviter, trop grand, trop épuisant, trop démoralisant avec ses kilomètres de jupes froissées et de pulls acryliques.

 

Comment a répondu H&M ? En continuant à ouvrir une infinité de nouvelles boutiques et à produire une infinité de styles, ne serait-ce qu’en raison de la conquête de nouveaux territoires (le Moyen-Orient) et de pays émergents (l’Inde, en 2015) qui avaient bien envie de goûter, à leur tour, à ce qui nous avait rendus accros une décennie plus tôt. Mais aussi, en développant et en affichant sa sensibilité écolo : la ligne « Conscious », qui se revendique éco-responsable, avec son coton bio et son polyester recyclé ; les bornes incitant à donner ses vieux vêtements en échange d’un bon d’achat ; l’initiative « Take Care », qui aide le consommateur à prendre soin de ses vêtements et à les réparer ; un tas d’engagements concernant la réduction de la dépense en eau ou en électricité. Surtout, H&M s’est mis à penser plus petit. COS. & Other Stories. Arket. En quelques années, la chaîne est devenue un groupe dont le portefeuille s’est enrichi de plusieurs noms, mais sans l’ambition qu’ils deviennent connus de tous. Avec eux ont surgi des storytellings capables de se démarquer à 100% de la maison-mère. Des images de marque toute fraîches. Et des clientèles ciblées, choisies, moins larges mais plus fidélisables. Autrement dit, la baguette magique de la diversification (ce à quoi participe aussi H&M Home, en allant voir du côté de la déco), couplée à l’occupation de niches.

 

Welcome to H&M & Co ! 

Le paradoxe est éternel : en voulant toucher tout le monde, on ne touche personne réellement. Les rayons H&M sont tellement garnis qu’il y en a pour tous, c’est un fait. Du trendy, de l’intemporel, de la qualité correcte, du cheap pénible, du naturel, de l’artificiel, du cuir, du plastique. Mais dans une ère qui valorise l’individualité, la quête du bon produit, les petites quantités, le local plutôt que le global, certains ne se retrouvent pas du tout dans l’esprit du lieu et n’en franchissent plus les portes. Alors que rentrer chez & Other Stories, c’est autre chose ! C’est adhérer à une jolie image, tissée en partenariat avec des blogueuses influentes, développée dans des « ateliers » (même le verbiage est extrêmement choisi) à Stockholm, Paris et Los Angeles (un sacré gage de raffinement et de hype), présentée dans des boutiques ravissantes aux allures de concept-store végétalisé. Quand bien même on pourrait trouver des pièces à peu près similaires en termes de style et de qualité, et moitié moins cher, chez H&M, peu importe, c’est toujours plus agréable d’avoir l’impression d’appartenir à un petit club de gens partageant les mêmes codes plutôt qu’à une masse générique. Marketing, quand tu nous agrippes…

& Other Stories a éclot en 2013. Cinq ans auparavant avait été lancé COS, qui bénéficie non seulement d’une clique de fidèles irréductibles, mais également d’une réputation béton : un design que l’on qualifie de « créateur » avec des silhouettes dépouillées, strictes, souvent conceptuelles, des coupes parfaites, de beaux matériaux, des boutiques au feeling haut-de-gamme, et en plus, un positionnement prix accessible. Bluffant. Mais pas pour n’importe qui : quel que soit le vent des tendances, COS continue de livrer ses vêtement volumineux, ses jupes au mollet ou ses pantalons feu-de-plancher qui ne plaisent ni ne vont à tout le monde. Et c’est bien ce qui en fait l’intérêt.

 

& Other Stories et son univers de blogueuse, COS et son côté créateur japonais, Monki (très teen, très fun), Weekday (radical et indé) : les marques du groupe sont remarquables en ce qu’elles tissent de manière habile une toile recouvrant petit à petit tous les segments de mode, et toutes les manières de consommer. En 2017, Arket, à Londres, s’est présenté comme un « modern-day market », adresse pragmatique dans laquelle shopper des vêtements de qualité pour toute la famille, Femme, Homme, Enfant, mais aussi tout ce qu’il faut pour la maison, du plaid à la théière, de la lessive chic à la balayette design. Cette année, /Nyden a eu pour ambition, en ne se lançant que sur Internet, de toucher un public accro au digital, aux collabs et à l’esprit tribu – à commencer par celle des surfers californiens, qui impriment le loookbook de leur coolitude ensoleillée. Et il n’est pas impossible que 2019 apporte sa nouvelle marque, née de l’observation de notre époque fragmentée.

 

H&M invente son mini-moi 

Quant à savoir si les magasins H&M eux-mêmes s’apprêtent à disparaître : sûrement pas ! Car si l’avenir est au mini format, la griffe se plie au test en ce moment-même. A l’instar des supermarchés gigantesques d’hier qui lancent aujourd’hui leurs surfaces de proximité, H&M s’essaie à autre chose que le mégastore. Dans sa ville natale de Stockholm, où tout a donc démarré, dans le quartier huppé de Karlaplan, s’est ouvert récemment… une boutique à taille humaine. Révolutionnaire ! Finis les trois, quatre étages de vêtements à la chaîne, place à une sélection limitée, « curatée », aux pièces les plus qualitatives, celles labélisées « Premium Quality » par exemple, et à une présentation aérée, soignée, comme dans un concept-store : de quoi réinjecter du désir dans l’univers de la marque. En bonus, un coin café et des événements sur invitation, qui développent la convivialité, l’effet club, et font sortir de l’achat anonyme. A peu près au même moment était inauguré, à l’angle du boulevard Haussmann et de la rue Lafayette, le plus immense de tous les H&M parisiens, quasiment un grand magasin avec ses six niveaux, sa partie Home, son offre beauté, son espace « Take Care »… Entre l’infiniment grand et le raisonnablement petit : l’important, finalement, c’est de créer l’événement !

 

Article rédigé par Laure Gontier

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