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Mode

La mode doit elle être engagée pour séduire ?

Ces dernières années, les acteurs de l’industrie de la mode ont redoublé d’efforts pour afficher leur engagement, qu’il soit politique, sociétal, humanitaire ou environnemental. Une tendance qui se veut le reflet d’une société chancelante, affaiblie par l’austérité, la montée des nationalismes, le renforcement des inégalités et la crise environnementale, mais qui pousse toutefois à s’interroger.

En septembre 2016, Maria Grazia Chiuri annonçait la couleur de son mandat chez Dior en présentant sur le catwalk des t-shirts frappés de l’inscription « We should all be feminist », reprenant le titre du manifeste de l’auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. En février 2017, Raf Simons offrait aux invités de son premier défilé pour Calvin Klein des bandanas blancs, symboles d’unité et de solidarité face à la politique migratoire de Donald Trump. En mars dernier, Balenciaga s’associait avec le World Food Programme de l’ONU pour abolir la faim dans le monde et pas plus tard qu’en ce début décembre, Chanel annonçait renoncer aux cuirs exotiques par souci d’éthique.

Ces dernières années, les acteurs de l’industrie de la mode ont redoublé d’efforts pour afficher leur engagement, qu’il soit politique, sociétal, humanitaire ou environnemental. Une tendance qui se veut le reflet d’une société chancelante, affaiblie par l’austérité, la montée des nationalismes, le renforcement des inégalités et la crise environnementale, mais qui pousse toutefois à s’interroger. Car si le militantisme s’inscrit profondément dans l’ADN de certaines marques ou designers, l’industrie dans son ensemble s’est toujours tenue relativement en retrait des causes politisées. Alors, qu’est-ce qui pousse la mode d’aujourd’hui à finalement prendre position ?

Une histoire de libération

Si d’aucuns la réduisent parfois au statut de frivolité, la mode n’en reste pas moins le reflet des évolutions de la société. Voire parfois l’origine. Parlons un peu de l’émancipation de la femme. Après plusieurs siècles de toilettes corsetées et de liberté entravée, le 20ème siècle assiste à une petite révolution. Dès 1915, Coco Chanel impose son style et son audace. Elle supprime le corset, adopte le pantalon, démocratise le jersey jusqu’alors associé au sous-vêtement. En 1946, c’est le bikini qui vient révolutionner la vision du corps des femmes et leur façon de se l’approprier, suivi de la mini-jupe en 1964 puis du tailleur-pantalon deux années plus tard. Les hommes ne seront pas en reste puisque la période d’après-guerre aura raison de l’élégance formelle qui leur était jusqu’alors imposée. A partir des années 80, c’est même toute la notion de genre et de masculinité qui sera repensée, sous l’impulsion de créateurs comme Jean-Paul Gaultier, Kenzo, Thierry Mugler ou Vivienne Westwood.

En parallèle, les exemples de prises de position politiques ou sociales ne manquent pas non plus. Citons pêle-mêle Benetton et ses campagnes polémiques, dénonçant la discrimination à travers les thèmes du racisme, du SIDA, de la guerre ou de la religion. Mais aussi Alexander McQueen, avec ses collections Highland Rape en 1995, Horn of Plenty ou encore Plato’s Atlantis en 2009, qui s’attaquent respectivement aux violences subies par l’Écosse par les Anglais, au consumérisme et au réchauffement climatique. Ou enfin John Galliano, qui avait créé le scandale en 2000 avec sa collection « Clochard » pour Dior, qui avait pourtant vocation à dénoncer « la condescendance banalisée de la bourgeoisie ».

Une mode politisée

L’industrie n’en est donc plus à ses balbutiements en matière d’engagement, mais elle s’est toutefois toujours montrée relativement frileuse à l’idée de prendre part au débat, notamment sur le plan politique. Cependant, ces derniers mois, les initiatives en ce sens ont surabondé. T-shirts à messages engagés chez Dior, Prabal Gurung et Zadig & Voltaire, badges distribués par le CFDA au profit du planning familial (dont Trump voulait alors réduire les aides), ou encore casquettes rouges frappés du slogan Make America New York chez Public School, les dernières fashion week n’auront jamais été si politisées.

Le dénominateur commun de ce soudain revirement ? L’arrivée de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale. Car si les raisons de s’insurger n’ont jamais manqué, l’élection du 45ème président des Etats-Unis a cristallisé les maux qui gangrénaient déjà la société. Racisme, islamophobie, armes à feu, sexisme et inégalités, destruction progressive de l’environnement. Un contexte de crise et d’urgence face auquel la mode ne pouvait donc rester silencieuse, et qui a entrainé une mobilisation sans précédent de la part des marques et des créateurs.

Le militantisme, une question de survie ?

Aujourd’hui, l’engagement apparaît plus que jamais comme une nécessité pour la mode. Pour être en phase avec son temps, mais aussi pour redorer son blason, profondément émaillé par les scandales à répétition. À commencer par l’effondrement du Rana Plaza en 2013, qui avait coûté la vie à 1 138 ouvriers, et exposé les dérives de la fast fashion. Des dérives qui pèsent aussi sur son empreinte écologique, puisque c’est à la mode que revient la seconde place des industries les plus polluantes, juste après le pétrole, et la 3ème place des plus gros consommateurs d’eau. Une réputation ternie, amplifiée par les polémiques récurrentes, des vidéos illustrant la cruauté derrière la production de fourrure et de laine angora aux accusations de harcèlement suite à l’ampleur du mouvement #metoo.

Si la mode a longtemps pu mener sa barque impunément, l’heure est désormais aux explications, et aux réparations. Au fil des mois, les initiatives bienveillantes se sont donc multipliées : LVMH a mis en place un fonds carbone interne, H&M a développé une ligne eco-conscious durable, Burberry a renoncé à brûler ses invendus, les grandes maisons ont signé une charte pour protéger les mannequins et banni la fourrure de leurs collections à vive allure.

Un rachat de conscience et d’humanité plus que nécessaire dans une société ou les jeunes générations citent désormais l’éthique, la transparence et la durabilité parmi les valeurs clefs qui déterminent leurs achats. Une nouvelle donne qui explique également le succès de labels émergents, qui ont placé le militantisme au cœur de leur ADN, et avec lesquels les grandes enseignes doivent désormais s’aligner. C’est le cas notamment de Marine Serre, dont les collections s’articulent autour de l’upcycling et de la circularité, de Koché, qui promeut la mixité au casting de ses défilés, ou encore de Pyer Moss, grand gagnant du CFDA/Vogue Fashion Fund, qui dénonce à travers ses défilés les violences policières, le trafic de drogue ou la politique anti-migratoire.

Plus que militante, la mode se doit d’être agissante

De belles initiatives qui témoignent d’une volonté de l’industrie de s’engager, mais qui laisse toutefois un goût de scepticisme. S’agit-il d’actes désintéressés en faveur d’un monde meilleur, ou d’une démarche opportuniste, ouvrant la voie à une forme de « marketing de la protestation » ? Car bien souvent, la mobilisation s’accompagne d’une com’ bien rodée, afin d’être sur que personne ne passera à côté. Et dans un monde ultra-connecté, où la transparence et l’honnêteté deviennent fondamentales, les faux-pas peuvent coûter très cher. H&M peut en témoigner. Malgré ses efforts pour se revendiquer comme une marque engagée, l’enseigne se retrouve régulièrement sous le feu des critiques (et des boycotts), que cela soit à cause d’une photo jugée raciste ou d’une polémique concernant ses salariés sous-payés en Inde et en Turquie.

S’il semble impératif pour la mode d’ôter ses œillères et de s’engager pour séduire, elle doit aussi convaincre. Prouver que la bienveillance n’est pas qu’une simple tendance, utilisée massivement pour amadouer le consommateur. Maintenir ses engagements sur le long terme, et servir des actions concrètes. À l’image d’acteurs comme Stella McCartney, pionnière d’une mode green et cruelty-free, de Gucci, qui versait en février dernier 500 000 dollars à la manifestation anti-armes ou encore de Patagonia, qui a promis de faire don de 10 millions de dollars de cadeau fiscal à des ONG environnementales. Autant d’exemples qui laissent à penser que l’industrie de la mode pourrait, à terme, devenir un véritable acteur du changement…

 

Article rédigé par Mathilda Panigada

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