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Mode

Du bling et des robes mythiques : Donatella ressuscite Versace

Avec son défilé Pré-Automne 2019, Donatella Versace a continué à explorer les archives de la maison et livré un jeu de citations ultra voyant. Un hommage tout en peps à un frère disparu et à une époque… elle aussi révolue.

Faire du neuf avec du vieux n’est pas forcément un défaut. N’en déplaise au tandem acéré de Diet Prada, dont l’Instagram traque les doublons qui contaminent la fashion ! Dans cette éternelle boucle temporelle récemment décryptée par Trends, Donatella Versace vient de revisiter les archives de la maison, sans se cacher. Bien au contraire : d’une manière décomplexée, fun, touchante. Il faut dire que c’était le premier défilé Pré-Automne de la maison, fraîchement rachetée par le groupe Michael Kors, dont l’ambition est de faire passer les revenus de la griffe italienne de 850 millions de dollars à… 2 milliards de dollars (asap, please). Il faut dire aussi que le show se tenait le 2 décembre, pile le jour de l’anniversaire de son frère Gianni, assassiné en 1997 (il aurait eu 72 ans cette année). Et il faut dire enfin que Donatella avait déjà remporté le jackpot, d’un point de vue commercial autant que médiatique, avec ses clins d’œil au défunt de la collection Printemps-Eté 2018, qui s’était achevée par l’apparition théâtrale des cinq top-models les plus emblématiques de « l’ère Gianni » (Carla, Claudia, Naomi, Cindy, Helena).

Un défilé very Gianni

On a donc retrouvé, remis au goût du jour, le bling, les motifs foulard en total-look, les jupes en cuir verni, les micro-pulls en laine, les t-shirts à logo, les imprimés animaliers, le fluo, tout ce qui infusait le vocabulaire mode à travers des campagnes de pub punchy. Mais on a surtout retrouvé des modèles bien précis et bien ancrés dans l’imaginaire collectif : le fourreau noir retenu par des épingles à nourrices qui, lors d’une avant-première en 1994, a propulsé Elizabeth Hurley du vague statut de « girlfriend d’Hugh Grant » à celui de star (la robe a immédiatement été baptisée « That Dress », et elle a aujourd’hui sa propre page Wikipédia sous ce nom) ; ou encore la robe à imprimé tropical, très longue, très loose, hautement révélatrice, portée par Jennifer Lopez en 2000, et qui a fait autant pour la carrière de la chanteuse que pour celle de Donatella, lui accordant le statut de digne héritière de Gianni après la mort de celui-ci (la robe aussi a sa page Wikipédia sous le titre « Robe verte Versace de Jennifer Lopez »). Aucune de ces références n’était 100% littérale. C’était, plutôt, un jeu joyeux de mix & match. Un puzzle géant dans lequel la « J. Lo. Dress », par exemple, avait troqué ses feuilles de palmier sur fond vert contre des cœurs multicolores sur fond noir (les cœurs : un autre motif droit sorti des archives), et où les créations du frère se télescopaient avec celles de la soeur.

Italian Crime Story

Encore plus qu’un hommage au disparu, cette collection Croisière était donc une relecture de l’histoire familiale. Petit rappel pour les plus jeunes (ou ceux qui auraient raté American Crime Story !) : dans les années 80-90, Gianni Versace était au panthéon de la mode. Ami des people, ennemi revendiqué du « good taste », il était celui dont le goût du bling, les silhouettes hypersexualisées et les couleurs vives en faisaient l’anti-Armani, le grand rival (car italien lui aussi) de l’époque. Son assassinat à bout portant a sidéré le monde. Et marqué le point de départ de la mythologie familiale lorsque Donatella, muse jusqu’ici très présente mais discrète, a été poussée sur le devant de la scène pour prolonger les affaires de la maison Versace autant que l’esprit de feu Gianni. Celle qui officiait alors sur la ligne bis, Versus, s’est retrouvée sur tous les fronts, y compris la haute couture avec Atelier Versace, et n’a pas tardé à s’avérer aussi habile à créer l’air du temps (et aussi jet-set-friendly). Malgré, confiera-t-elle plus tard, être dévastée intérieurement par la mort du frère adoré, et bourrée d’insécurités quant à son propre travail.

Puissance & insouciance

C’est pour cela que le défilé est si touchant : il se feuillette comme un album de famille, à la fois suffisamment créatif pour ne pas sentir la naphtaline, et suffisamment référencé pour parler aux fashionistas. En remettant en lumière la robe de Jennifer Lopez, il montre le chemin parcouru par une femme, devenue l’une des plus puissantes de la sphère mode, mais qui aura dû gagner sa crédibilité par le travail, l’audace, le talent. Situé à l’American Stock Exchange à New York, le décor du show comprenait d’ailleurs une réplique de la torche de la Statue de la Liberté, symbole de la ville dixit Donatella, « mais aussi symbole des femmes, de l’empowerment et de la force. » Et puis avec ses tonalités acidulées, ses matériaux shiny, ses excès show-off, la réinterprétation des hits d’il y a vingt, trente ans raconte aussi une époque plus joyeuse… ou que l’on imagine comme telle, moins angoissée par, au hasard, le terrorisme, les manifs qui dégénèrent, le gap entre les riches et les pauvres, les perspectives écologiques (pour ne prendre que dans l’actualité de ces jours-ci). Une époque dont on a envie de retrouver la légèreté, l’insouciance, fut-ce par des artifices vestimentaires.

Ce défilé est tombé à pic. On y a vu beaucoup de jaune. Et à côté, pas de la révolte, mais tout plein de petits cœurs.

Article rédigé par Laure Gontier

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